Vol Libre Diois
Vol Mont Blanc : 5559 mètres d’altitude

Vol Mont Blanc : 5559 mètres d’altitude

Par Sam Essertier, (en juin 2019)

18h30 mardi. Grâce à un sms de Cedric, j’apprend que la journée du lendemain est une journée « Mont Blanc ».
Des journées comme ça, il y a une tout les 5 ans.

J’étais sur les trois becs avec Perrine, et on avait prévu de redescendre à la nuit.
Je vérifie vite fait sur météoparapente, c’est annoncé fumant .
Faut que je rentre à Die, que je prépare vite fait un sac ….et que je bouge à Cham.

Bref….je suis parti ce fameux mercredi 27 juin 2019 à 8h45 de Die, avec pour objectif d’attraper le Tramway du Mont Blanc de midi 20 à St Gervais.
J’étais un peu speedé…
pour aider, tout le long, il y avait les restrictions de vitesses dues à la pollution elle même due à la chaleur elle même cause et conséquence de cette exceptionnelle journée pour les parapentistes. Bref j’étais censé rouler doucement.

Je choppe le TMB de 12h20 , nickel !
En montant, j’admire le paysage qui apparaît doucement entre les sapins et puis d’un seul coup : woah !! il y a déjà 30 voiles sur Vorassey.
et des dizaines qui suivent ! et une centaine au dessus de Cham toutes dans en gros un seul thermique qui dérive un peu vers le Mt Blanc.

Le tramway arrive au nid d’aigle et dès que je descend …je sent un gros vent descendant….
au moins 15 voir 20 km/h.
je cherche un bout de terrain face au vent . Rien de raisonnable.
Merde, je redescend à pied.
En route, je remarque que le vent est moins fort et des thermiques remontent la pente.
Je descend encore et en contournant la face sous le nid d’aigle, le vent catabatique à disparu, laissant la place à des thermiques.

Des voiles décollent depuis le Lachat. Ils galèrent à monter.
Je reste confiant.
Préparation rapide mais néanmoins sérieuse.
(j’enfile un gros collant sous un jean, cagoule, gros gants, tout ce qu’il faut pour monter à 4800)
Décollage facile, mais tard (vers 15h) et rapidement j’enroule un thermique.
Assez facilement, je fais un plein (Alt 2900m) pour sauter à mon tour sur Vorassey où des voiles sont encore en train de partir, arriver, monter, tourner…y a plein de monde partout !
Certains quittent les environs du sommet du Mt B , ils sont perchés hyper haut .
J’ai hâte de les rejoindre…
Tout en regardant le paysage et les autres parapentistes, j’atteins quasi 4000.
Départ en transition vers l’aventure….

Je vise l’aiguille de Bionnassay.
Il y a clairement un léger vent du nord ++.
J’essuie la face sud ouest pensant trouver de l’air qui monte mais ça dégueule de partout.
On est plusieurs à se faire appuyer sur la tête.
Je glisse jusqu’au col (des Miages) espérant remonter. mais rien n’y fait…
Demi-tour, pas de soucis, mon moral est au beau fixe.
Je retourne secteur Vorassey, et refait le plein.

Ce coup ci, j’assure 4300 et je pars direct sur le col, pour éviter la zone descendante de Bionnassay
J’arrive au dessus et passe le col des Miages avec environ 300 m de marge.
C’est le saut vers l’Italie, un grand glacier qui remonte vers le col, et la fameuse arrête dont j’ai entendu parler hier par Cédric, qu’il faut suivre pour monter au Mt Blanc. 1080.jpg 1080.jpg (739.07 Kio) Consulté 13224 fois

Comme je ne veux pas faire comme les autres, je ne vais pas jusqu’à la fameuse arrête dont j’ai entendu parler hier par Cédric, qu’il faut suivre pour monter au Mt Blanc. Je choppe un thermique à mi chemin, sur des cailloux avec un refuge dessus. Je suis très bien là.
C’est beau , majestueux partout autour.
D’ailleurs, le thermique me monte à 5200 !
Je commence à comprendre ce qu’il se passe…
A prendre en compte l’ampleur de ce que je vis, de ce que je peux voir.

C’est pas évident de descendre de la voiture après trois heure et demi de route speedé + le tram et 1 heure après de se retrouver perché accroché par du chiffon et des ficelles dans le ciel à 5200 m d’altitude, plus haut que toutes les montagnes d’Europe et d’intégrer ça à sa juste valeur.

Je suis juste à coté du Mt B, il y a plein de monde posé dessus et qui vole autour.
Mon esprit d’enrouleur de thermique fou ou d’enrouleur fou de thermique me fait me battre pour être celui qui est le plus haut.
Tant que j’y arrive pas j’enroule. finalement, j’atteins 5559 m, dans les barbules d’un petit cumulus. Je suis bien le plus haut de tous, mais ça n’a plus d’importance.
Je me pose des questions sur l’hypoxie mais ne ressent d’autre effet que l’émotion lorsque je fais un 360° lent pour filmer et énumérer tout ce que j’ai sous les yeux (les pieds aussi).
C’est majestueux, c’est légendaire, ces sommets, ces arrêtes, ces faces, sont chargées d’histoires. Celle des Frisons-Roche de ma jeunesse (tous lus !) mais aussi de mes potes alpinistes avec qui on à fait les cons sur ces glaciers, de fois où je suis passé à pied, ou à ski ou en surf…bien en dessous.
5500.jpg

Sur la journée, j’ai fais en tout environ 300 photos, 2 gigas octets de neige et de rochers.
Quelques vidéos.

En bas, toujours pas mal de monde, mais ça se vide doucement.
Je regarde les gens poser et décoller.
C’est pas hyper propre….Les atterros sont plutôt des plantés, et les décos sont avortés assez souvent.
Mais, j’estime le truc faisable.
Et tentant pour l’histoire.
Je décide de poser.

ça descend pas vraiment devant le Mt B, je dois m’écarter pour descendre.
Finalement, je pose bien moins planté (dans la neige molle de la face sud) que prévu.
C’est presque propre comme posé.

Au sommet vent nul.
6°C mesuré (par un scientifique), 11°C ressenti.
Et plein de monde.

Des suisses montrent leur cul à un appareil photo, des mecs essayent de décoller sans y arriver, un gars se pose à coté de moi, c’est un pote , c’est plein de monde, un mec dit qu’il a l’épaule cassée suite à une tentative de décollage ratée, et qu’il attend qu’on parte pour appeler l’hélico, il y en a en short tee-shirt, une fille nous dit qu’elle est monté que dans du +1.5, quelqu’un annonce que les secouristes italiens appellent sur la fréquence FFVL pour demander de la place pour intervenir sur leur versant, ils sont pas content, il y trop de parapentes partout…je marche en baskets sur le toit de l’Europe, je ramasse des détritus, il y a des merdes humaines à 1m de l’arrête sommitale…c’est un drôle de lieu, un peu la foire , j’ai l’impression de pas être en phase avec tout ça, je ne sais pas si je suis vraiment heureux d’être là…je m’éloigne un peu pour faire quelques photos de l’arrête des bosses, ça glisse franchement là où passent et repassent les alpinistes, c’est tassé comme du béton, heureusement que c’est plat.
En revenant, je ressent un mini vertige, de quelques secondes….Warning !
Je décide de contrôler un peu ma respiration, de me forcer à respirer bien profondément.
Kortel (Denis) aide les pilotes à décoller. Il y a du travail…
Faut décoller dos voile et courir à bloc dans la neige molle.
Ceux qui ont des voiles bien allongées avec du lest dans la sellette et qui décollent d’habitude que avec du vent…sont dans la merde.
Perso, je sais que ça va le faire . j’ai une voile légère, du matos léger, je suis en pleine forme, et je sais bien décoller dos voile.
M’enfin, deuxième mini vertige.
Je me prépare à partir.
Il y a une flemmèche dans la pente nord. Elle indique vent nul.
Je vais la chercher et la plante sur l’arrête.
ça peut servir à ceux qui sont depuis un bon moment assis à coté de leur voile en train de se demander comment ils vont faire pour repartir…
4080.jpg

Et,
La flemmèche indique un mini vent de nord.
Je suis prêt , j’étale la voile coté nord, assisté par le gars à l’épaule cassée qui dis que plus vite tout le monde sera parti, plus vite il sera secouru.
Le temps de harnacher, des mecs sont partout autour de moi avec leur voile en boule.
J’annonce qu’il vont devoir faire attention à pas se faire accrocher la go-pro des casques lorsque ma voile va gonfler. Je les trouve un peu proche mais ils me garantissent qu’il vont gérer. Les feux sont au vert.
Le vent est favorable, il y a 2 ou 3 de face.
Impulsion, montée de voile dissymétrique, recentrage, accélération, course , presque pas de tempo, ça décolle, la vitesse augmente encore, je suis à raz du sol à balle !. A cette altitude l’air est si peu dense que les parapentes ont besoin de beaucoup plus de vitesse pour voler qu’en bas. Je l’avais vérifié en observant les décollages, mais à vivre, c’est quand même surprenant.
ça dure qu’un instant, je glisse vers les grandes étendues enneigées. Je tape les baskets l’une contre l’autre pour virer la neige et les rentre dans le cocon.

J’ai envie de descendre collé aux glaciers.
L’air est très calme.
C’est juste différent de piloter à une main vu que l’autre est occupé à faire les 300 photos et vidéos.
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j’ouvre grand les yeux
Magique, à refaire, à vivre, beau…

Passage à raz l’arrête des bosses, près du goûter, il y a quelques alpinistes qui descendent et des centaines de traces dans la neige.
Passage devant les refuges des cosmiques, l’aiguille du midi…
Coups d’œil en arrière pour bien dire au revoir au Mt Blanc…
Passage au dessus de la jonction où on avait bivouaqué avec mon pote Stef, j’étais jeune !
Les glaciers ont bien rétréci…

Le vol se termine, je suis repu.
C’était court ou long (si je prend en compte depuis le moment où j’ai su que c’était LA journée) et intense.
Je laisse glisser vers St ger.

Pour la première fois de ma vie, je branche le tél en vol et j’appelle Cédric pour lui demander des news, et si j’ai le droit de poser à la piscine.
Il est en bas à Chède, il a pas fait le mont Blanc et on se retrouvera à la piscine.
Ok .
En bas, l’air est tout calme, mais surtout chaud , très chaud.

A l’atterro, petit échange avec des mecs qui viennent récupérer leurs voitures et un gars qui se pose.
On partage ce qu’on a vécu.
Comme des parapentistes normaux…c’est sympa.
A part que là,
c’était le Mont Blanc.


Le lendemain, (suite au décès d’un pilote qui a raté son décollage et qui a glissé jusqu’en bas de la face sud + surement le fait que les hélicos de secours ont eu du mal à travailler pour aller chercher les alpinistes) les communes de Chamonix et St Gervais prennent un arrêté qui interdit dorénavant tout atterrissage en parapente dans un rayon de 300m autour du sommet.

En clair,
C’était le dernier jour pour se poser là haut légalement.


Difficile de retranscrire tout ça.
Une petite vidéo pourrait aider (je bricole ça sous peu !)


En tout cas,
C’était exceptionnel…
Profitons bien de tous nos privilèges, puisqu’on peut se les offrir.
La nature est magnifique, faut pas rater une occasion d’aller la tutoyer.
Nous sommes fait pour elle, elle est faite pour nous.
Respectons la, et fréquentons la.
Elle a tant à nous offrir…

Voile BGD Lynx S
Sellette légère cocon

Durée du vol montée : 1:45:29 h
Altitude max. : 5559 m
Taux maxi. d’ascension : 5.0 m/s
Taux de chute max. : 2.7 m/s

Mis en ligne le 27 juin 2019 sur le forum du club par Sam, puis déplacé ici en 2022 suite aux remaniement des sites internet du club.